L'Assurance maladie universelle permet « de couvrir les frais de santé et de maternité des populations par une mise en commun des risques et des ressources ». Qu'est-ce que cela implique ? Cette assurance est-elle la panacée pour les populations indigentes. Gabriel Compaoré, chargé de plaidoyer/communication de l'ONG ASMADE, acteur de la société civile, s'est prêté à l'exercice de questions réponses pour éclairer notre lanterne.
Qu'est-ce que l'AMU ? Expliquez-nous le bien-fondé de cette assurance
Je suis COMPAORE Gabriel, chargé de plaidoyer/communication à l'ONG ASMADE.
Il n'est pas aisé de définir l'AMU : on peut dire qu'elle est une disposition nationale organisée par l'Etat qui permet de couvrir, par une mise en commun des risques et des ressources, les frais des soins de santé et de maternité des populations.
Vous savez que près de 40% des dépenses totales des ménages sont consacrées à la santé. Et le drame est qu'on ne peut accéder à la consultation, aux examens et aux médicaments qu'après paiement du coût de ces prestations. Cette pratique de paiement direct entraîne pas mal de ménages dans un cycle de paupérisation dont ils se relèvent difficilement.
C'est pourquoi, depuis 2015, l'Etat s'est engagé dans la réflexion pour la mise en place de l'AMU. Mais c'est en 2008 que le Comité de pilotage national et le Secrétariat Permanent/AMU ont été mis en place pour conduire les études de faisabilité.
Qui en est bénéficiaire et à quelles conditions ?
Toute la population résidant sur le territoire national, sans distinction aucune, sera bénéficiaire de l'AMU. Ce choix est fait en tirant leçon des expériences dans d'autres pays pour nous prémunir des tentatives de fraudes. L'AMU, c'est pour une fois, la manifestation de la solidarité nationale tant prônée, enfin le partage des fruits de la croissance à tous !
Ce qu'il faut noter, c'est que notre pays n'a pas de pétrole ou autre ressource pour permettre la gratuité de l'AMU. Le système demandera la contribution des bénéficiaires. Mais cette participation sera proportionnelle à la capacité de chacun. Le financement sera assuré par l'Etat, ses partenaires techniques et financiers, les employeurs et les populations. Mais tout le monde aura accès aux prestations, non pas en fonction de sa contribution, mais en fonction de ses besoins, de façon équitable et continue.
Pensez-vous que cette assurance va résoudre les problèmes que rencontrent les couches défavorisées au Burkina Faso en matière de santé ?
Quand nous nous sommes rencontrés, la première question était de savoir comment vous allez ? Si on a la santé, on peut penser à manger, au développement, on peut penser investissement, plaisirs, voyages, etc. Il n'est pas rare de voir des gens refuser d'aller dans un centre de santé parce qu'ils n'ont ni de quoi payer la consultation ni les médicaments. Avec l'AMU, les portes de nos formations sanitaires s'ouvriront même au plus démunis. Avec l'accès rapide aux soins de santé par le biais de l'AMU, il y aura moins d'opportunité que les cas s'aggravent et augmentent les coûts de prise en charge, les familles passeront moins de temps autour des malades. Tout cela se rattrape en travail puis en développement au bout. Vous voyez donc que l'AMU sera un grand facteur de promotion du développement. Les mutuelles que nous développons depuis une vingtaine d'année sont là pour démontrer que les systèmes de partage des coûts et de solidarité améliorent la vie des populations.
Le 20 mars, le SPONG organisait une conférence de presse pour interpeller le gouvernement de la transition à propos du vote de la loi. Aujourd'hui où en êtes-vous ?
Après la conférence de presse du 20 mars, nous avons été invités par le Ministre de la FPTSS à un atelier gouvernemental sur la question. Comme il l'a lui-même souligné à cette occasion, l'AMU est une réforme sociale majeure qui marquera les générations futures. Nous en avons profité pour insister sur l'importance de l'AMU qui est une grande mesure sociale touchant pour une fois toute la population. Nous espérons avoir rassuré le gouvernement que voter la loi ne signifie pas tout faire et disposer de toutes les ressources tout de suite, mais créer un cadre légal rassurant qui facilitera la mobilisation des ressources pour assurer à terme le caractère universel de l'AMU. Il nous a été dit que le projet de loi sera réintroduit en conseil de ministres et probablement transmis au CNT pour adoption. Nous espérons qu'il en sera ainsi pour le bonheur des burkinabè.
Etes-vous prêts pour mettre en œuvre cette assurance santé ?
Après tant d'années de préparation, après toutes les études de faisabilité réalisées, après les voyages d'échanges auprès d'autres pays, après que certains pays soient venus nous écouter et aller lancer leur système, je crois qu'on peut se dire prêt à démarrer et à progresser selon le rythme proposé par les études de faisabilité.
Au niveau des acteurs mutualistes, avec l'appui de nos partenaires nous sommes engagés dans le développement et la structuration des mutuelles de santé communales et les unions régionales. Et un fruit que nous tirons déjà du processus de mise en place de l'AMU, c'est qu'en exploitant les résultats de son étude de faisabilité financière, nous sommes arrivés à mettre en place 12 mutuelles communales en trois mois, alors qu'avant, il nous fallait au minimum six mois pour mettre une seule en place.
A part le ralentissement du vote de la loi, quelles autres difficultés rencontrez-vous relativement à cette assurance ?
Sans la loi, plus rien n'avance ! Il faut donc la loi pour lancer le processus, lancer les opérations pilotes, roder le système de gestion, mobiliser les ressources auprès des partenaires qui aiment les burkinabè.
L'autre pan du mur à construire, c'est de poursuivre et consolider ce que les acteurs de la société civile ont réalisé depuis des années : développer et consolider les mutuelles sociales pour couvrir toutes les communes du Burkina pour que ces mutuelles servent de passerelles pour que tout le monde bénéficie de l'AMU. Il nous faudra aussi identifier et former des structures de proximité pour l'accompagnement des nouvelles mutuelles.
Tout cela demande des moyens certes, mais les moyens viendront quand on sentira l'engagement fort de l'Etat derrière ce processus.
Comment cette assurance est-elle accueillie par les populations ?
Pendant 5 mois (d'avril à septembre 2014), le Comité national de Pilotage a développé la concertation tous azimuts sur le projet : concertations avec les prestataires de soins, avec la presse, avec les mutualistes, avec les PTF, avec les forces vives de toutes les 13 régions. Des émissions radio-télévisées ont été organisées à l'intérieur du pays comme à Ouaga : nulle part on n'a noté une opposition au projet. Les questions tournaient plus autour du comment mettre en œuvre. L'enthousiasme était grand. Marquer trop le pas maintenant découragerait tant de monde et participerait au gaspillage des ressources précieuses que nous avons investi pour les études, les formations, les voyages d'échanges, les concertations, etc.
Quel sera l'impact de l'AMU sur la politique sanitaire du gouvernement ?
Enorme. La politique sanitaire du gouvernement est de travailler à ce que tout burkinabè accède à des soins de qualité. L'Etat investit de grands moyens pour former les prestataires de soins, construire les infrastructures et les équiper, disponibiliser les médicaments. L'AMU vient organiser les populations pour judicieusement exploiter ces investissements. Les ressources engagées par l'Etat seront mieux exploitées, les contributions des populations seront mieux gérées avec leur participation à travers les mutuelles de santé, les indigents qui ne savaient même pas que des dispositifs étaient là pour eux auront accès aux prestations comme tout le monde. Comme le recouvrement des coûts sera assuré, les structures sanitaires disposeront de plus de moyens pour s'équiper et mieux répondre à la demande de la population. Les compétences sûres qui sont dans nos formations sanitaires pourront se valoriser.
Et pour mieux répondre aux futures sollicitations, l'Etat s'est déjà engagé à transformer les CSPS des chefs-lieux des communes en Centres Médicaux. C'est dire qu'on y affectera des médecins, des pharmaciens et des sages-femmes. Cela améliorera de façon sûre la qualité de la prise en charge de proximité des malades et réduira fortement les cas d'évacuations.
Votre dernier mot ?
Notre dernier mot, c'est d'insister pour que la loi sur le Régime d'Assurance Maladie Universelle soit votée. Cette étape franchie, on pourra motiver nos partenaires pour nous aider à progresser à notre rythme et couvrir progressivement toute la population. Quand on voit l'engouement des communes après les concertations régionales à mettre en place leurs mutuelles, nous sommes sûrs que les choses iront plus vite que nous le croyons pour la santé et le bonheur des populations.
Source : Entretien réalisé par Françoise DEMBELE (Burkina Faso)