1 - Bonjour Mme Sibylle REICHERT, merci de bien vouloir vous présenter sur le plan professionnel.
Je m'appelle Sibylle Reichert et je suis la Directrice Exécutive de l'AIM, l'Association Internationale de la Mutualité depuis juin 2019. L'AIM compte 49 membres dans 26 pays d'Europe, d'Afrique, du Moyen-Orient et d'Amérique latine. L'AIM promeut et défend les intérêts de ses membres auprès des institutions européennes et internationales mais aussi des gouvernements. Sur la base de ses valeurs, telles que la solidarité, la non-lucrativité et la démocratie, l'AIM se bat pour des systèmes de santé durables et de haute qualité, des mutuelles de santé fortes et reconnues pour leur valeur dans l'économie sociale ainsi que pour la santé et la protection sociale pour tous sans inégalités.
Avant de rejoindre l'AIM, j'ai travaillé comme Directrice du bureau de Bruxelles de la Fédération des Fonds de Pension Néerlandais de 2009 à 2019. De 2003 à 2009, j'ai été directrice des relations avec les Institutions Européennes de l'Association Européenne des Institutions Paritaires (AEIP). J'ai commencé ma carrière dans des entreprises internationales en tant que responsable du marketing et des projets. J'ai une maîtrise de philologie française et espagnole et gestion des entreprises.
2 - En tant que mutualiste engagée, comment définissez-vous ESS (Economie Sociale et Solidaire) et quelle est sa place dans notre société en pleine mutation ?
Pour moi, l'économie sociale et solidaire doit occuper une très grande place dans nos sociétés. C'est une forme d'entreprendre qui met au centre de ses préoccupations le bien être des personnes et la solidarité au lieu de la quête du profit, et dont la gouvernance repose sur des principes démocratiques. Les organisations de l'économie solidaire et sociale, puisque ce terme regroupe mutuelles, coopératives, fondations et associations, se donnent ainsi pour but d'œuvrer pour le bien commun et l'intérêt général. Les organisations de l'économie sociale et solidaire font par ailleurs vivre chaque jour la solidarité, qui est le ciment de toute société. Cette valeur très ancienne est ancrée dans l'humanité et aucune société ne peut survivre sans solidarité, par exemple entre les riches et les pauvres, les personnes en bonne santé et les malades, les jeunes et les personnes âgées. Les mutuelles sont des organisations très anciennes qui existent depuis longtemps dans de nombreuses parties du monde, y compris en Afrique. Aujourd'hui, les mutuelles accomplissent des tâches très variées et contribuent à la réalisation de beaucoup des objectifs de développement durables tels que la fourniture de services sociaux et de santé, la protection de l'environnement, la promotion de l'égalité des genres et l'autonomisation des femmes, ainsi que le renforcement de la production des biens ou des services par et pour les citoyens, en particulier les plus vulnérables. L'ESS contribue également à la promotion du dialogue social, des droits du travail et de la protection sociale. Cependant, les organisations de l'économie sociale et solidaire ont aussi besoin d'une reconnaissance légale nécessaire à leur développement.
C'est pourquoi l'AIM appelle à ce que l'économie sociale et solidaire et les mutuelles en particulier et soient dotées par les gouvernements de l'encadrement légal dont elles ont besoin afin de pouvoir exercer leurs activités de manière pleine et entière. Ces demandes sont au cœur de la [1] Plateforme de Lomé et de la déclaration de Dakar, les deux documents politiques de consensus, qui sont la base du plaidoyer mutualiste dans la poursuite de l'atteinte de la CSU en Afrique.
3 - Lors de son assemblée générale le 18 Avril dernier, l'ONU a adopté une résolution sur « La promotion de l'économie sociale et solidaire au service du développement durable », que représente pour vous cette reconnaissance des Nations Unies ?
L'AIM s'est engagée aux côtés d'autres associations afin que l'Economie sociale et solidaire soit reconnue au niveau du Bureau International de Travail (BIT) et de l'ONU. Nous sommes donc très heureux de voir que nos efforts ont payé et que deux institutions internationales prestigieuses ont adopté des résolutions sur l'ESS. Nous devons à présent tous coopérer pour cueillir les fruits de cette reconnaissance. Nos membres ont maintenant un outil à la main pour soutenir leurs actions de plaidoyer au niveau national afin de se battre pour mettre en œuvre des stratégies, des politiques et des programmes nationaux, locaux et régionaux qui visent à soutenir l'ESS. Et cela est complètement aligné avec la Plateforme de Lomé et la déclaration de Dakar. Il était en effet grand temps que l'ONU s'exprime sur le besoin de renforcer l'ESS par le biais de cadres juridiques spécifiques, de statistiques nationales, d'incitations fiscales adaptées et de marchés publics, de programmes d'enseignement et d'initiatives de renforcement des capacités et de recherche ainsi que par le renforcement de l'esprit d'entreprise et du soutien aux entreprises de l'économie sociale et solidaire. Tout cela suppose également, comme le contenu de la résolution le reconnaît, un soutien des institutions financières multilatérales, internationales et régionales et des banques de développement y compris par le biais d'instruments de mécanismes financiers existants et nouveaux adaptés à tous les stades de développement des organisations de l'ESS.
4- Pensez-vous que les actions des acteurs de l'ESS peuvent être des catalyseurs dans l'atteinte des Objectifs de Développement Durable (ODD) à travers le monde ? Merci de bien vouloir justifier votre réponse.
Ce qui est clair, c'est que le modèle actuel de fonctionnement de notre économie s'achève. L'appétit inlassable pour toujours plus de profit épuise les ressources de notre planète et, malgré les nombreux acquis qu'un système économique compétitif nous a permis d'obtenir, l'humanité doit se tourner vers une forme d'économie qui place davantage l'être humain à son centre et se préoccupe des plus vulnérables, préserve les ressources et favorise la coopération et le partenariat. Comme décrit plus haut, selon moi, les acteurs de l'Economie Sociale et Solidaire tels que les mutuelles sont déjà aujourd'hui un catalyseur du développement durable. Plus concrètement depuis peu, l'AIM est aussi partenaire dans la plateforme l'CSU2030 (https://www.uhc2030.org/fr/a-propos-de-nous/).
Eric Chenut, le Président de la Mutualité Française est intervenu au nom de l'AIM à New York lors de l'audition multipartite de l'ONU sur la couverture santé universelle le 9 mai pour représenter la position du mouvement mutualiste lors de cette réunion qui fait partie intégrante de la préparation de la réunion de haut niveau de l'ONU sur la couverture santé universelle qui aura lieu le 21 septembre. En participant à ce partenariat concret de mise en œuvre de la couverture universelle de santé, nous permet de mettre en valeur les travaux et les engagements des mutuelles pour atteindre le but de la Couverture Universelle de Santé. Nos membres s'engagent à un accès à la santé pour tous sans inégalités. Ils agissent au plus près des populations et offrent un service de proximité. D'où notre appel à un cadre législatif et un soutien financier adapté afin de leur donner une place plus importante dans nos sociétés. Les acteurs de l'Economie Sociale et Solidaire doivent être en mesure de [1] réaliser les valeurs de solidarité, de non-lucrativité et de démocratie pour le profit des populations et de placer le social, l'accès à la santé pour tous sans inégalités et des soins de santé de qualité au centre de toutes les sociétés.
5- Votre mot de fin.
L'AIM est une organisation de plaidoyer et de partage de connaissance, de pratiques et d'innovations.Dans ce sens, et sur base des demandes faites dans la Plateforme de Lomé et la déclaration de Dakar, nous ferons le nécessaire pour continuer le plaidoyer pour que les acteurs de l'Economie sociale et solidaire tels que les mutuelles soient reconnues au niveau régional, national, européen et international. Nous continuerons à être une plateforme pour nos membres afin de partager des expériences, des pratiques et des innovations. Cet apprentissage est un objectif très important qui permet à nos membres d'ouvrir leur horizon et de regarder au-delà des leurs expériences au niveau nationale, comment adapter les systèmes de santé et de protection sociale à la modernité afin d'en favoriser les avantages mais également d'en dénoncer les limites. C'est la mission des mutuelles que de ne pas seulement être des assureurs de services de santé, mais également d'être des véhicules de la transformation sociale qu'elles sont depuis leur début. Atteindre la couverture universelle de santé reste une gageure dans beaucoup de régions du monde. L'adoption de la résolution de l'ONU sur l'Economie Sociale et Solidaire structure un peu plus les forces en direction de cet objectif et les mutuelles ont l'intention de jouer pleinement leur rôle dans ce combat.
PASS/AIM
[1] Plateforme de Lomé, Le pari de la Mutualité pour le XXIe siècle, Un engagement politique pour une stratégie.
Des mots aux actes (2019), disponible ici : https://www.aim-mutual.org/wp-content/uploads/2020/11/18112020_LOME_FR-2.pdf
[1] Réaliser la couverture santé pour toutes et pour tous, Pour une vision commune entre mutuelles, mouvements sociaux, pouvoirs publics et acteurs économiques (2022), disponible ici : https://www.aim-mutual.org/wp-content/uploads/2022/03/DeclarationDakar_finale-1.pdf